Sommaire :

    Causerie

    Cette fois, la voilà bien! Elle s'est fait longtemps attendre. Mais, en quelques jours, elle a réparé des semaines perdues, ;'i ce point que les Anglais sur la route de Khailouin, et les Américains autour de Santiago ne doivent pas en souffrir beaucoup plus que nous autres Lyonnais, au confluent du Rhône et de la Saône. Car vous avez compris qu'il s'agit de la chaleur, reine des étés, qui semblait, jusqu'à ces jours derniers, avoir abdiqué pour cette année, son ardent pouvoir. Elle nous est revenue brusquement, avec le 14 juillet. Et Messidor, dont le soleil implacable « tombe en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu », va mûrir dans les plaines françaises, les moissons déjà blondes, ce qui nous épargnera une seconde année de pain cher. Cette considération est de nature à faire supporter plus patiemment les incommodités caniculaires. Sans quoi, il nous faudrait maudire les brusques altitudes du thermomètre, après en avoir déploré les dépressions, ("est qu'il faut se faire une enveloppe de Touareg pour traverser la place Bellceour vers deux heures de l'après-midi. Seul, Louis XIV tient bon sous les rayons accablants, auxquels son nom de Roi Soleil l'oblige de ne pas dérober son visage; olympien. Mais i) doit avoir bien chaud sous la vaste perruque ! Nous autres, simples mortels que la grandeur n'attache pas au rivage, nous avons la ressource du costume succinct. Eugène Chavotte a vailmcme imaginé un moyen tout à fait eliicace pour travailler au frais. Un tonneau plein d'eau, avec une planchette posée en travers pour écrire! Et s'il vous arrivé une visite importune, il suint de plonger pour échapper au fâcheux raseur... C'est le « petit trou pas cher » transporté à domicile. Quel dommageque la bienséance interdise d'outiller de la sorte les salies de rédaction, pendant les raois.d'été! C'csfcncorc la civilité non puérile mais honnête qui défend, â juste titre d'ailleurs, l'absence complète de costume : On cïlsi bien tout eu dans une large chaise, a éciitaudacieusemeiit Musset... Mais cette tenue n'est permise qu'à la Vérité, laquelle d'ailleurs, prend la précaution d'habiter le plus souvent nu fond d'un puits. Cependant il me souvient d'une anecdote qui tendrait à démontrer que jadis, au théâtre du Palais-Royal, sous l'Empire, le nu était adopté comme costume estival par les comiques célèbres de l'endroit. En ce temps-là, ils s'habillaient tous ensemble, Gil-Pérez en tête, dans une loge commune qu'ils appelaient plaisamment le « bain à quatre sous ». Un jour, Camille Doucct, alors surintendant des Beaux-Arts, manifesta au pèreDormeuil, directeur du théâtre, l'intention de visiter le Palais-Royal. On | prit rendez-vous, et les pensionnaires furent avisés d'avoir, pour ce soir-là au moins, sinon le maintien d'un portrait de famille, mais au moins un costume décent. Au jour dit, M. Camille Doucet, solennel et administratif, arrive au théâtre, visite la scène et demande à voir, dans leur loge Gil-Pérez, Grassot, Hyacinthe, et leurs camarades. Dormeuil frappe à la porte du « bain â quatre sous » et dit : — Messieurs, c'est M. Doucet que j ' ai l'honneur de vous amener... — Entrez, répondirent les artistes en choeur. Le haut fonctionnaire pénétra dans le sanctuaire et demeura stupéfait : ces messieurs étaient nus comme le discours d'uïi académicien, mais ils avaient mis, par respect, gants blancs et chapeaux hauts de forme ! Cette fantaisie valut aux délinquants une forte amende, car les amendes légères n'arrêtaient pas leurs débordements facétieux. C'était le temps où Grassot disait à son régisseur: — Combien cela me coûterait-il pour vous appeler imbécile? — 2 francs d'amende ! — Eh bien ! voilà quatre francs vous êtes un double idiot ! Pour en revenir aux moyens de.pallier les effets de la_ température, on doit reconnaître que les femmes ont sur les hommes une supériorité indéniable et charmante, celle du décolletage. En se décolletant, la femme ouvre une fenêtre qui lui donne de l'air et, au spectateur, d'aimables horizons. Tartuffe • a bien essayé de bannir cette mode à la fois agréable et utile : « Cachez ce sein que je ne saurais voir», disait-il hypocritement à Donne. Mais la gaillarde, heureusement pour elle et pour nous, s'est obstinément refusée à suivre les avis de l'imposteur... On cite aussi de nos jours ce mot d'un évoque à une jolie marquise qui était venue, â une réception donnée en son honneur, avec une robe de bal très décolletée et une traîne fort longue. Maladroitement ou à dessein, l'évêque marche sur la traîne. Et pour s'exeuser : — Je ne vous ferai pas d'excuses madame la marquise, c'est de votre faute : si vous aviez mis un peu plus d'étoffe en haut et un peu moins en bas, cela ne serait pas arrivé! Mais ce sont-là des mots de censeurs chagrins. DorineetElmireont raison de continuer à se décolleter — pour leur agrément et pour le nôtre !
    droit d'utilisation : Licence Ouverte-Open Licence

    Retour